| Ma vie, c'est une succession d'étapes. Y'a eu une étape barbante au début: naissance, enfance... Le train-train quotidien et pas très trippant je vous l'accorde. Papa, il était pas là, sauf pour jouer les dictateurs sur ma petite existence. Maman, elle était un peu trop là. Je lui en veux pas cela dit, ça doit être à cause d'elle ma passion pour les femmes. Je l'avoue, j'aime ma maman, elle vaut son pesant de cacahuète. Y'a ma soeur aînée aussi. Elle se prend pour mon modèle d'ailleurs. Dans les faits, elle n'a pas tort, mais juste dans les faits. Ace est unique, et même à ma soeur adorée je n'offrirais pas ce que je suis. Et enfin, il y avait mon frère. Mon jumeau. Cillian. On est différent lui et moi mais on a toujours été proche. On était pas symétrique, loin de là, mais plutôt comme les deux faces d'une même pièce. On était complémentaire et ça suffisait à notre équilibre personnel. Je savais que ce que je n'étais, Cillian l'était à la perfection et réciproquement. Aucune jalousie à avoir, juste une évidence. Forcément, ça a jamais été au goût du paternel. Il aurait voulu que je sois aussi brillant et studieux que mon autre moi mais ce n'était pas le cas, et inutile de dire que j'étais chaud pour changer. Les menaces, les punitions et toutes les conneries du genre n'y ont rien fais: je n'ai jamais été Cillian. J'étais Gillian, point barre. Il était déterminé mais je l'étais aussi, trop pour admettre que dans le fond, ce caractère de merde je le tenais bel et bien de lui. Mon enfance, ça a été ça: une confrontation éternelle entre mon père et moi. Ca forge le caractère, pas vrai ?
Deuxième étape. Elle s'est enclenchée avec la bienveillance de ma très chère aînée. Je devais avoir quoi... 15-16 ans ? Avide d'en faire toujours plus pour foutre mon père en rogne et à cours d'idée, elle m'a offert sur un plateau mon nouveau jeu: la débauche. On commence jamais trop jeune, pas vrai ? Alors j'ai suivi ma soeur dans son monde de fou et j'en suis devenu l'heureux prisonnier. Je me sentais à ma place dans toute cette insouciance futile, cette débauche d'argent, d'énergie et de vie. C'était devenu mon monde, ce pourquoi je me levais le matin, ma clé pour faire enrager mon père. J'étais fais pour ça, le monde de la nuit et tout son univers. C'était mon truc. Bon, je peux pas dire que je voyais d'un bon oeil que ma soeur change de mec comme de chemise, inutile de dire qu'en fait, je l'avais bien à l'oeil. Mais comme j'étais pas mieux, je pouvais pas trop lui faire la leçon, pas vrai ? Cillian a essayé. Inutile de dire que ça a pas vraiment marché non ? J'aime voir qu'au moins un de nous deux est quelqu'un de bien, ça m'oblige pas à l'être du coup. C'est relaxant d'être la brebis galeuse de la famille: personne attend rien de vous, personne ne compte sur vous. Du moins, pas les adultes. Je sais que mon frère a confiance en moi comme j'ai confiance en lui. Et ma soeur, je sais que quoique je fasse on s'entendra toujours. Idem pour ma mère mais je pense qu'une mère est obligée d'aimer ses enfants d'une certaine façon. Quant à mon père... on pourrait ne pas en parler ? Ca me met un peu beaucoup sur les nerfs. Et croyez-moi, c'est pas joli à voir. J'ai le coup de poing facile et la fibre bagarreuse, il ne fait jamais bon me contrarier, sous aucun prétexte. Les filles, elles, elles m'adorent. Jusqu'à ce que je les plante. Leurs mecs, ils m'aiment moins, leurs frères pareils, mais qu'est-ce que j'en ai à foutre encore ? Puis les pères... non on parle pas de ça non plus.
Troisième étape ? Je sais que vous attendez que ça ! Revenons en 2012. J'ai pété un câble. Je rectifie: mon père m'a fais péter un câble. Alors j'ai dis FUCK ! En grosses et belles lettres capitales. J'ai fais mon sac, dis adieu à mon frère, ma soeur et ma mère, les seuls que j'allais regretter. J'ai promis de donner des nouvelles, j'ai pas viré dans le sentimentalisme, comme à mon habitude mais c'était pas loin. Et puis j'ai tourné les talons. Si j'avais su qu'après ça j'aurais plus jamais aucune nouvelle de ma famille, j'aurais peut-être fais un choix différent... Mais chuis impulsif et pas du tout du genre à y réfléchir avant de faire quoique ce soit. C'est toujours une bonne idée sur le coup, c'est après que le revers fait mal. Que ma mère se soit fait monter la tête par mon père, d'accord. Que ma soeur soit trop obnubilée par sa vie nocturne que par le spectre de son frère, passe encore. Mais que Cillian ne tienne pas sa promesse et coupe les ponts avec moi... Ca j'ai clairement pas pu empêcher. Et là, la rancoeur a commencé à ronger chaque partielle de mon être. Plus le temps passait et plus j'étais amer, plus j'avais la bougeotte. J'ai commencé par l'Europe avant de poser mes valises aux Etats-Unis, c'était censé être chez moi après tout non ? S'il y avait un endroit où j'étais censé être accueilli à bras ouverts, c'était là-bas. La patrie des self-made-men pour accomplir mes rêves de grandeur. J'étais décidé à leur prouver à tous de quel bois j'étais fais, que je pouvais réussir sans eux et qu'ils avaient eu tort de me tourner le dos.
C'est à New York que ma vie a pris un vrai tournant. Mon inconscience et ma luxure ont eu des conséquence autre qu'une haine bien fournie et quelques coups bien sentis. Elle s'appelait Constance. Petit bout de ciel français dans la Grande Pomme. Elle était... pas mon style du tout. Rayonnante de simplicité et d'une bigoterie à toute épreuve. Coincée à souhait, pas le genre de fille que je fréquente, beaucoup trop gentille pour ça. Mais un pari, un peu de booster à mon orgueil et j'ai entrepris de la séduire. J'y ai mis le temps et les moyens. J'étais commis de cuisine à l'époque, je bossais comme un dingue à côté et je sortais de l'autre, et je passais du temps avec elle. Tout ça pour un stupide pari. Je n'aimais pas perdre mais c'était poussé le vice. Je me disais que je faisais ça pour elle aussi dans un sens, je lui rendais service en lui ouvrant les yeux sur ce qu'était vraiment la vie de nos jours. Et quand je suis finalement parvenu à mes fins, je ne ressentais plus la même légitimité, peut-être que j'avais tort. Je me sentais coupable d'avoir brisé ses rêves. Mais le coup de grâce restait à venir. Elle a fini par m'annoncer qu'elle attendait un enfant. Un enfant de moi, de qui d'autre. Sa famille n'accepterait jamais, ne supporterait pas. Alors elle a emménagé chez moi parce qu'elle voulait ce bébé, c'est ce qu'elle disait. Et je ne me sentais pas de la jeter à la rue. De les jeter. C'était ma faute. Mais je ressentais plus qu'une simple culpabilité. Mais il était bien plus simple de dire que ce n'était jamais qu'une crise de conscience, pas vrai ? Mieux valait que je la tienne éloigner de mon lit, pour son propre bien. J'ai commencé à chercher un métier plus ambitieux que simple commis de cuisine. J'allais devoir élever une famille, être un homme. Et le destin a frappé. Il a décidé de foudroyer le chef cuisinier de mon resto, ce qui m'a propulsé sous les feux de la rampe. Je savais que je pouvais briller plus fort que les autres et tout le monde a commencé à s'en rendre compte. Je croyais que tout était parfait, que tout coulait de source. Et puis Sugar est née, ma petite princesse. J'ai senti son coeur battre en même temps que le mien. Peut-être que je n'étais pas qu'un mec sans scrupules, peut-être que je pouvais être un père, peut-être que je pouvais être un bon petit copain pour Constance. C'est ce que j'ai cru. C'est ce que j'ai voulu. Et elle a foutu le camp. Sans rien dire, sans que j'ai rien pu faire. Elle nous a planté là, Sugar et moi, comme de pauvres meubles. J'ai pas supporté, j'ai pas digéré. Et voilà un coup de pioche de plus dans mon coeur atrophié, une pelleté de plus pour mon tas de rancoeur. Alors j'ai bossé encore plus dur, pour oublier, pour ma fille. Et mon nom a commencé à faire le tour de la fille, mon compte en banque a commencé à être bien blindé. J'ai décidé d'ouvrir mon propre resto. Puis un autre. Et encore un autre. Pendant 5 ans, j'ai enchainé les succès comme des capotes sur... ouais bon, je vais peut-être pas dire ça. Le fait est que ma renommée n'était plus à démontrer, j'étais à la tête de plusieurs restos, plusieurs milieux, j'avais sorti deux bouquins et un tas de produits dérivés. J'étais beau gosse et j'étais doué. Et j'étais père, sans doute la meilleure chose qui me soit arrivée, qui m'ait ouvert les yeux. Puis je me suis souvenu du mien, de père. Je me suis souvenu de ma rancoeur et de ma famille qui m'avait tourné le dos. Peut-être qu'il était temps de rentrer après tout et de leur montrer qu'ils avaient tous eu tort à mon sujet. Good morning Sydney ! I'm back, hell yeah ! |