« Très bien, nous pouvons commencer, nous sommes en compagnie de Damian Wellington, futur champion de formule 1, tout juste sorti de l’école et déjà une star chez les plus grands et un sex-symbol pour nos jeunes femmes. Monsieur Wellington, tout le monde brûle de vous connaître un peu plus, pouvez-vous nous donner une anecdote sur votre enfance ? » ]« Vous savez, mon enfance a été plutôt calme, j’ai toujours vécu dans le luxe, j’ai eu de la chance, mes parents avaient de très bonnes situations et je ne me suis jamais plaint de ma vie alors des anecdotes, je n’en ai pas beaucoup, j’étais un ange (rire) mais je crois qu’il y en a bien une. J’ai bien failli ne jamais devenir pilote de formule 1, j’étais un véritable singe dans mon enfance, je grimpais partout et un jour, j’ai escaladé un mur pour rejoindre mon meilleur ami et j’ai fait une chute qui m’a paralysé deux jours, mais heureusement, rien qui ne puisse être réparé… » Damian coupa la vidéo et soupira, désespéré. Il était assis sur le comptoir de la cuisine deux jours après son étrange réveil et visionnait les vidéos de sa vie pour tenter de retrouver les fragments manquants de son existence. Il avait toujours été narcissique et ne s’étonnait pas de la quantité de vidéos sur cd qu’il avait stocké sur son disque dur. Il interrompit cette interview qui datait d’une semaine avant son accident s’il s’en tenait aux dates qu’il connaissait. Il ne s’en souvenait pas mais il savait qu’il mentait complètement, il n’avait pas vraiment été heureux, ses parents étaient certes fortunés mais sans arrêt absents, jamais à la maison pour une raison ou pour une autre. Il avait tout ce qu’il voulait, une belle voiture à ses seize ans, des jouets à n’en plus voir son lit dans sa chambre toute son enfance, la possibilité de faire ce qu’il voulait mais jamais l’amour d’une mère ou l’accolade amicale d’un père. Jamais un « félicitations Damian » pour tes exploits en cours, pour le trophée des jeunes talents en maths remporté alors qu’il n’avait que treize ans face à un adolescent de dix-huit ans, il n’avait jamais vu ses parents fiers au premier rang d’une représentation de théâtre alors qu’il en faisait depuis l’âge de dix ans. Il n’avait jamais entendu ses parents inquiets de ne pas le voir rentrer trop tard un soir de semaine tout juste âgé de quinze ans. Il n’avait jamais eu le sermon de tous les adolescents sur les dangers de l’amour physique alors qu’il vivait sa première expérience à quatorze ans. Non, lui recevait de l’argent chaque semaine pour payer l’essence de sa voiture, manger pour sortir et s’amuser à volonté pendant que son père était au énième séminaire de l’année et sa mère à une réunion « d’une importance capitale » jusqu’au bout de la nuit. Parfois, Damian passait plusieurs jours sans se montrer chez lui, ses parents ne s’en apercevaient même pas. C’était pour cela qu’il était devenu aussi arrogant, aussi fier et aussi désireux de toujours faire plus, faire mieux que tout le monde, parce qu’il avait besoin de reconnaissance mais n’en n’avait jamais reçu.

« Tu peux ouvrir ton cadeau fiston ! » … « Un ballon de basket ? Papa, je n’ai jamais joué au basket de ma vie, je vais toutes les semaines au stade de F1 de la ville et toi, tu m’offres un ballon de basket ? » Cet anniversaire, il s’en souvenait, il suivait des cours avec un cousin à lui, pilote de F1 et son père ne le savait même pas, pensant qu’il jouait comme ses camarades au basket, sport qu’il détestait. Sa mère avait coupé la caméra à ce moment précis visiblement puisque la vidéo se mit à grésiller et il soupira. Non, ses parents ne l’avaient jamais compris, ils ne l’avaient jamais vu à bord d’une voiture de course ni son sourire lorsqu’il racontait sa journée au terrain. Ils s’en fichaient et pourtant, Damian avait aimé conduire avant même de savoir marcher. Il adorait toujours ses voitures lorsqu’il était petit, il avait passé son permis le plus vite possible, il était doué au volant et il le savait. Il avait toujours eu cette passion pour les bolides et avait même appris à les réparer au garage de son oncle. Il était entouré de membres de sa famille dans ce milieu et voyait son rêve se réaliser chaque fois qu’il gagnait un niveau, qu’il s’améliorait. Damian allait sortir la vidéo quand une nouvelle image apparut à l’écran. Il se vit alors, plus vieux de quelques années, il devait avoir vingt-deux ans sur la vidéo, avant son accident. Il était avec une magnifique blonde, au lit apparemment et il se détourna de la caméra pour la rejoindre. « Je t’aime » S’entendit-il chuchoter alors qu’il la prenait dans ses bras. Il fronça les sourcils. Il avait filmé une déclaration d’amour ? La belle blonde lui répondit aussitôt et elle semblait sincère mais où était cette femme ? Pourquoi n’y avait-il pas de trace d’elle dans son appartement et pourquoi vivait-il avec une rousse si c’était elle qu’il avait aimé ? Il se promit de chercher pourquoi il était avec une autre plutôt qu’avec elle et coupa rapidement la vidéo lorsqu’il prit conscience qu’il était sur le point d’assister à ses propres ébats. Devenu arrogant au point de se filmer pendant l’amour, voilà qui ne l’étonnait même pas en réalité. Il rangea le cd, se jurant de la détruire et en prit une autre, le cœur lourd de revoir sa vie détruite.

Revoir son accident le plongea dans un état second. Il avait fait un véritable carnage lors de cette course et qu’une seule victime : lui-même. L’accident était de sa faute, entièrement de sa faute, il ne pouvait blâmer personne d’autre. Il avait eu un instant d’inattention et sa vie avait basculé. Il était sur le point de devenir champion et le voilà en fauteuil roulant. Il sortit le cd rapidement et le cassa en deux de rage.

Il tomba sur une autre vidéo et eu un sourire mélancolique. « June, acceptez-vous de prendre pour époux Matthew ici présent ? » « Je le veux. » « Si quelqu’un s’oppose à cette union, qu’il parle maintenant, ou se taise à jamais… » « Ouais moi, il n’a pas le droit d’épouser ma cousine ! » « Damian ! » « Ouais pardon, je déconne, vous pouvez continuer ! » « Damian ! » Sa mère le rappela à l’ordre une nouvelle fois tandis que certains invités riaient, d’autres s’offusquaient et que le prêtre semblait ne plus savoir où se mettre. Il sourit à ce souvenir, le mariage de sa cousine, plus âgé que lui, plus belle que jamais dans sa robe blanche et son sourire éclatant qui lui était adressé. C’était il y a six ans, elle était encore jeune, lui aussi d’ailleurs mais elle avait épousé l’homme de sa vie et il était tellement heureux pour elle à ce moment-là. Elle avait été plus qu’une cousine à ses yeux, une véritable sœur et il se demandait où elle était aujourd’hui et ce qu’elle était devenue, elle avait toujours pu compter sur elle, il le savait parfaitement et il fallait à tout prix qu’il la retrouve, ne se doutant pas un seul instant qu’elle le détestait aujourd’hui.

Il fouilla longtemps, tombant sur sa remise de diplôme au lycée, qui était filmé par sa cousine puisque ses parents n’étaient pas présents, il y avait son premier jour à la faculté de sciences, filmé par lui-même où il passa trois ans sans pour autant abandonner la course. Il y avait sa première course officielle, puis toutes celles qui avaient suivi, filmées tantôt par son cousin, tantôt par sa cousine ou sa petite amie du moment dont on entendait les cris hystériques, différents à chaque fois. Il y avait une vidéo prise une nouvelle fois par lui-même après son accident où il montrait ses blessures bien avant de savoir qu’elles étaient définitives. Et enfin, il y avait une série de nouvelles vidéos sur elle, cette rousse qu’il avait vu à son réveil. Jezabel, des vidéos de leur ami commun où ils faisaient la fête ensemble, ses tentatives de faire fuir les hommes qu’elle côtoyait parce qu’il semblait en être fier, elle l’avait visiblement aidé à admettre son handicap et il devait avouer que voir toutes ses vidéos le charmait plus qu’il ne pouvait l’admettre. Il ne la connaissait pas, c’était si étrange de savoir s’il partageait sa vie. Et pourtant, malgré son absence de souvenirs, son arrogance et ce fauteuil roulant, il allait devoir continuer à vivre, aller de l’avant et il le fit en coupant son ordinateur et en dirigeant sa pile de vidéos vers la poubelle. Il lui fallait prendre un nouveau départ.